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La Cigale chante le livre

Réac' à chaud : Réparer les vivants

11 Février 2016, 20:46pm

Publié par Cigale

Salutations !
 

J'ai fini hier Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal. D'abord, j'ai pensé à garder jalousement cette lecture pour moi, me refermer dans le cercle de l'intime, ne partager à personne les relations que nous avons nouées, ce roman et moi. Mais contrairement à la fourmi, je suis partageuse.

Réparer les vivants a été publié en 2013 aux éditions Verticales, a reçu plusieurs prix (Grand Prix RTL, Roman des étudiants, Prix Orange du livre, Prix des lecteurs de l'Express, Prix Relay) et est une absolue tuerie. Vous ressortez de votre lecture en vous sentant mortel, en vous disant "Je suis en vie", en vous demandant "Est-ce que j'accepterais de donner mes organes moi ?" et avec une vague inquiétude vous ne pouvez vous empêcher de penser "Et si ma fille/ma mère/ma copine/mon meilleur ami/mon chat/whatever (rayer les mentions inutiles) mourait ?"
 

C'est un professeur de librairie qui me l'a recommandé, en déclarant "Il est super, on l'a porté en librairie, on nous a même parfois remercier de l'avoir conseillé. Je ne vous dis pas de quoi ça parle par contre, sinon vous allez pas le lire". Je prends le pari que vous le lirez quand même une fois que je vous donnerais le thème principal. Par pitié, ne vous braquez pas. En trois mots, vous allez suivre un cœur pendant 24h, qui est dans la poitrine d'un adolescent qui aime le surf au début du roman et fini dans celle d'une femme ayant la cinquantaine ayant une maladie cardiaque à la fin du livre.
 

Ne fuyez pas, je vous en prie !

Par quelles portes suis-je entré dans le livre ?  
Histoire              Personnages         Contexte/Décor         Style d'écriture

 

Maylis de Kerangal chante une ode à la vie et tout en même temps un chant mortuaire, un appel à prendre conscience de tous les cœurs qui battent autour de nous, de l'humanité qui vit comme un seul être dans un grand macrocosme, de toutes ces personnes que nous ne connaissons pas mais qui nous ressemblent. Mais elle nous emmène aussi au plus profond de notre intimité, de notre petit microcosme social, mais aussi de nous-même, de notre corps, de notre chair.
 

Elle dépeint un milieu médical avec tous le vocabulaire froid qui va avec, mais aussi une plume sous laquelle la ligne s'étire, où les phrases sont longues - très longues - avec des réflexions méditatives sur la vie, la mort, la perte d'un proche, la symbolique que l'on accorde au cœur. Souvent, on s'égare au fil de l'histoire pour aller découvrir une tranche du passé d'un personnage, une de ses propres réflexions, ou simplement sa vision de quelques passants incluse au milieu d'un dialogue.


Je pourrais vous décortiquer son écriture, mais je ne pense pas que cela soit très utile. Soit vous lisez cet article en ayant déjà eu le livre en main et je ne ferais que répéter des évidences, soit vous ne l'avez pas lu et vous le découvrirez par vous-même.

 

En bref :

Les points positifs

  • Une lecture immersive qui vous fait réfléchir à ce qu'est la vie
  • Un thème difficile, mais abordé sans tous le pathos et la bonne dose de dramatisation qu'on a l'habitude de voir dans les médias télévisuels.
  • On apprend plein de choses sur l'univers médical et particulièrement les greffes
  • Des personnages attachants, qu'on a pas envie de quitter à la fin.
  • Un style travaillé, on se laisse facilement porter par les mots
     

Les points négatifs

  • Un thème effrayant, qui nous fait réfléchir à la mort et nous rendre compte de notre condition de mortel
  • Un vocabulaire médical très froid qui pourrait rebuter certains
     

Avant de vous laisser sur un extrait, j'aimerais dire deux mots sur Maylis de Kerangal. En effet, j'ai également lu il y a plusieurs années Tangente vers l'est (publié en 2012, chez les éditions Verticales comme tous ses livres). Elle a l'habitude d'écrire sur des thèmes difficiles (la construction d'un chantier, un voyage dans le transsibérien...) mais elle les aborde avec brio. C'est une fille de capitaine et ça ne m'étonne pas. Son style se situe du côté de la fluidité et de la musicalité des mots, de la poésie. Cependant, dans Réparer les vivants, le vocabulaire médical altère légèrement cet aspect. Si jamais cette histoire de transplantation cardiaque ne vous dis rien du tout, je vous recommande Tangente vers l'est, roman très court que j'ai trouvé étourdissant de beauté.
 

N'hésitez pas à me faire part de vos impressions dans les commentaires !

Votre fidèle Cigale.
 

Extrait : La première phrase de Réparer les vivants

"Ce qu'est le coeur de Simon Limbres, ce coeur humain, depuis que sa cadence s'est accélérée à l'instant de la naissance quand d'autres coeurs au-dehors accéléraient de même, saluant l'évènement, ce qu'est ce coeur, ce qui l'a fait bondir, vomir, grossir, valser léger comme une plume ou peser comme une pierre, ce qui l'a étourdi, ce qui l'a fait fondre - l'amour; ce qu'est le coeur de Simon Limbres, ce qu'il a filtré, enregistré, archivé, boîte noire d'un corps de vingt ans, personne ne le sait au juste, seule une image en mouvement créée par ultrason pourrait en renvoyer l'écho, en faire voir la joie qui dilate et la tristesse qui resserre, seul le tracé papier d'un électrocardiogramme déroulé depuis le commencement pourrait en signer la forme, en décrire la dépense et l'effort, l'émotion qui précipite, l'énergie prodiguée pour se comprimer près de cent mille fois par jour et faire circuler chaque minute jusqu'à ciqn litres de sang, oui, seule cette ligne-là pourrait en donner un récit, en profiler la vie, vie de flux et de reflux, vie de vannes et de clapets, vie de pulsations, quand le coeur de Simon Limbres, ce coeur humain, lui, échappe aux machines, nul ne saurait prétendre le connaître, et cette nuit-là, nuit sans étoiles, alors qu'il gelait à pierre fendre sur l'estuaire et le pays de Caux, alors qu'une houle sans reflets roulait le long des falaises, alors que le plateau continental reculait, dévoilant ses rayures géologiques, il faisait entendre le rythme régulier d'un organe qui se repose, d'un muscle qui lentement se recharge - un pouls probablement inférieur à cinquante battements par minute - quand l'alarme d'un portable s'est déclenchée au pied d'un lit étroit, l'écho d'un sonar inscrivant en bâtonnets luminescents sur l'écran tactile les chiffres 05;50, et quand soudain tout s'est emballé."

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