Salutations habitants de ces bois,

J'arrive avec du lourd aujourd'hui, Les Dépossédés d'Ursula Le Guin, roman de science-fiction dans une veine planet opera publié en 1974, premier tome du Cycle de L'Ekumen. Je n'ai pas lu la suite, donc on se focalisera sur ce premier tome, qui mérite entièrement un article de la catégorie découverte pour lui tout seul. Parce qu'il est extraordinaire, parce qu'il vous fera réfléchir à votre vie, à votre monde et à vos convictions. Parce que quand vous sortirez dans la rue, vous aurez un regard un peu différent sur ce qui vous entoure. Parce que vous vous demanderez ce que Shevek, le personnage principal, aurait pensé de tel ou tel aspect de notre monde. Parce que ce livre date de 74 et qu'il aurait pu sortir hier.

Je vous préviens tout de suite, ce livre relèvera plus de l'analyse que de la critique. De plus, il spoilera quelques éléments, même si je vais faire de mon mieux pour ne pas dévoiler les éléments principaux de l'intrigue. Cependant, rien que d'expliquer clairement le contexte dans lequel cela se déroule relève un peu du spoil et je vais être obligé de le faire, tout comme de raconter certains passages, vous êtes prévenus. En soi même la quatrième de couverture est un spoil à mes yeux.

Tout ce qu'un homme peut imaginer, un jour d'autres hommes le réaliseront

Jules Vernes

J'ai pensé à cette citation plus que jamais. Dans cette oeuvre, Ursula Le Guin, monument de la littérature de l'imaginaire, oppose deux mondes qui se font face, l'un étant la lune de l'autre. Anarres, la planète d'où vient Shevek, habitée par les odoniens, est une petite planète sans animaux - avec seulement des plantes et du poisson - où il est difficile de vivre, basé sur un système anarchiste avec des relents de communisme. Urras, la planète que Shevek va découvrir, est un monde capitaliste dont la société ressemble à la notre. C'est une planète bien plus riche où l'eau est abondante et ne manquant pas de ressources.

On a l'habitude de la sicence-fiction alarmiste, qui nous montre le pire pour pas qu'on aille dans cette direction. Ce que j'aime avec ce livre, c'est qu'il montre une alternative. D'un côté, il y a le côté alarmiste, le pire, lorsqu'on apprend ce qu'il est advenu de la Terre et la façon dont est gourverné Urras. Mais en face de cela, il y a une proposition : L'odonisme. Dans le livre, Odo est une femme qui a inventé la société d'Anarres, formenté une révolution et a inventé un nouveau langage. Les odoniens ont été envoyés par le régime d'Urras sur la lune, qui va devenir Anarres, où ces odoniens vont former leur société idéale.

Les dépossédés Ursula Le Guin

Le livre alterne deux types de chapitres : Ceux qui se déroulent dans le présent, où Shevek est parti découvrir Urras pour des raisons qui découvre au fur et à mesure de la lecture, et les chapitres qui racontent le passé de Shevek, de son enfance au moment de son départ. Petit à petit, cela nous permet d'apprendre à connaître les deux planète et plus particulièrement Anarres et la mentalité de ses habitants. Les dépossés Ursula Le Guin couverture

Ursula Le Guin imagine une société anarchiste où tous le monde serait libre. La langue des odoniens ne contient pas d'article possessif. On ne dit pas "ma mère" mais la mère, on ne dit pas "mon fils", mais le fils. Sur Anarres, personne ne possède rien, toutes les maisons sont ouvertes puisqu'il n'y a rien à voler. Les objets sont pris dans un entrepot public, puis lorsque l'on en a plus besoin, on retourne les déposer dedans. Même votre enfant ne vous appartient pas. A partir de 2/3 ans, il est plus que recommendable dans cette société de le laisser avec les autres enfants, où il dormira dans des dortoirs communs. Les parents peuvent toutefois passer leurs soirées avec leurs enfants s'ils le désirent.

Je ne vais pas tout dévoiler, je vous conseille fortement de lire le livre pour cela, mais cela vous donne un avant goût. Et je vous assure qu'à la fin, c'est cohérent. Cette société est décrite dans tous ses aspects, qui comprennent bien sûr ses travers, qui sont tout aussi réaliste.

Plus de livres devraient être comme celui-ci. Cette société décrite, je la conçois tout à fait, je pense qu'elle pourrait exister. C'est probablement un peu utopiste, mais je pense qu'un jour, d'autres hommes réaliseront ce monde inventé.

Un autre aspect important du livre, c'est la vision d'une société capitaliste à travers les yeux de Shevek, un odonien. Ce n'est pas nouveau en science-fiction de décrire notre monde à travers les yeux d'un extra-terrestre. On ne peut pas dire que cela soit extrêmement original. Cependant, c'est rudement bien fait et cela donne souvent à réfléchir.

A un moment, Shevek part seul dans la rue - d'habitude il est toujours surveillé de près par un membre du gouvernement - et se rend compte qu'il n'a personne à qui parler, que les gens passent, le visage fermé, dans leur propre bulle. Lorsqu'il va dans un magasin, on lui sourit et l'accueil. Il commence alors à se demander si le contact humain ne serait pas - encore une chose de plus - payant dans ce monde. Pour moi qui souhaite devenir libraire, je dois avouer que cela m'a un peu ébranlé. S'ensuit une scène où il rentre dans un magasin de bonbons et chocolats et demande à utiliser le téléphone. Il appelle une femme qui lui avait tendue la main quelques jours plus tôt et s'avère relativement maladroit. La vendeuse le trouve adorable et semble bienveillante envers lui. Lorsqu'il a fini son appel, elle lui propose d'acheter des friandises pour la dame, parce qu'il ne devrait pas venir les mains vides. Shevek ne commente pas ce passage. Stratégie commerciale ? Marchand de contact humain ou sincère bienveillance ? Je penche pour la seconde proposition.

L'homme naît bon, c'est la société qui le corrompt

Rousseau

Les dépossédés Urras carte

Je pense que c'est également un livre qui a une vision assez juste de la nature humaine, avec notamment toute une réflexion sur la possession, les rapports de forces entre les individus et sur le changement. A travers cette différence majeure entre Anarres et Urras, le thème de la possession est récurrent. On s'aperçoit vite que celui qui possède quelque chose que les autres n'ont pas devient plus fort, notion compliquée à abordée pour Shevek, alors qu'il vit dans une société basée sur l'absence de rapport de force de possession.

Cette course à la possession et à la domination des autres instaurée par la société est ce qui corromperait l'homme. On le voit à travers l'exemple des étudiants sur Anarres, qui n'ont pas d'examen, pas de diplôme à passer et ont soif d'apprendre - il faut dire que les odoniens utilisent le même mot pour le jeu et le travail. Tandis que sur Urras, les étudiants viennent en cours avant tout pour avoir leur diplôme ce qui leur garantit un travail bien rémunéré. Shevek, qui va donner des cours de physique sur Urras, se voit obligé de se plier au système de contrôle et dit qu'il va donner la note maximal à tous le monde. De nombreux élèves se plaignent alors, parce que cela ne permettra pas de différencier les bons des mauvais. Sur le coup, je me suis indigné de la réaction de ces élèves, qui me semblait absurde. Puis j'ai réfléchit. N'aurais-je pas réagit pareil, en voyant que celui qui dort au fond aura la note maximale, comme moi alors que j'étudie sérieusement ? Probablement. Et j'ai trouvé ça triste, que je pense comme cela.

J'aime beaucoup également les passages qui parlent de l'amour sur Anarres. Comment vivre en couple lorsqu'il n'y a pas de notion de possession ? Comment ne pas être jaloux ? Et j'ai trouvé émouvant la façon dont la fidélité pouvait se former dans cette société, sans notion de possession. Plus encore, j'ai trouvé émouvant un moment qui explique sur Shevek et sa femme se séduisent l'un et l'autre chaque jours, car l'être cher ne leur appartient pas et qu'ils ont conscience qu'ils peuvent le perdre à tout moment. C'est leur manière de renouveler chaque jour la promesse de leur amour.

La notion de changement est également beaucoup abordé, mais cette fois ci plus du côté d'Anarres. Anarres, cette planète née de la révolution, qui petit à petit s'enterre dans les traiditons odonistes et n'arrive pas à évoluer. L'auteur démontre que l'homme a tendance à rester vers l'immuable, parce que c'est confortable, tandis qu'être un véritable anarchiste, c'est être dans le changement, dans la révolutions constante, dans l'inconfortable. Ce livre est un appel à l'inconfortable.

Les dépossédés Anarres carte

Au passage, il n'y a pas que la société d'Urras qui corrompt l'homme. La société d'Anarres le fait aussi, à sa manière. En effet, Anarres est née sur des bases anarchistes, mais aussi avec quelques éléments plus communistes, l'idée qu'il faut oeuvre pour la communauté, que tous le monde doit être égal, qu'il ne faut pas "égotiser" comme c'est si souvent formulé par les personnages. Cependant, il s'ensuit une obéissance contraire à l'anarchisme et à la liberté. En effet, si l'administration envoie quelqu'un travailler quelque part pour le bien commun, il est libre de refuser. Cependant, il ne refuse pas, parce qu'il a été élevé à penser au bien de la communauté et parce qu'il redoute le regard des autres et la mise à l'écart. L'homme n'est plus contrainte par une minorité de puissant, mais par son éducation et par l'ensemble de ses semblables. Ainsi, la société a tendance à rester coercitive et obliger l'homme à obéir, que cela soit à la manière d'Urras - par l'argent - ou celle d'Anarres.

Mais Ursula Le Guin ne nous laisse pas comme ça, sans solution. La solution se trouve dans l'anarchiste, dans la révolution perpétuelle, dans la lutte pour la liberté. Comme l'a fait Odo, comme essaye de le refaire Shevek. Ainsi, le seul moyen de sortir de cette coercition est de choisir la solution de l'inconfortable et être en évolution perpétuelle.

C'était vraiment les deux points que je voulais aborder. J'aurais aimé également vous parler de la physique temporelle, domaine que Shevek étudie, ce qui introduit de très bonne réflexion sur le temps qui passe et la façon de l'aborder. Cependant, je crains de ne pas être assez compétent en physique comme ne philosophie et je n'ai donc pas tout compris. Je laisse ça à d'autres qui sauront le faire mieux que moi.

N'hésitez pas à laisser des commentaires pour me parler d'autres livres que vous auriez vu avez lu avec toute une société cohérente qui a été créé, ou encore d'autres livres d'Usurla Le Guin, ou encore pour me dire simplement si cet article vous a plu et était intéréssant !

Cigale, qui remercie l'amie lui ayant offert ce livre.

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